Descourtilz (1809)

Michel-Étienne Descourtilz (1775-1836) was a French doctor and botanist who was sent to Saint-Domingue by the government and founded the colonial Lycée there. During the slave rebellion he served as a doctor with Dessalines’ army, returning to Europe in 1803.

Most of the relevant section of Chapter XIV of his Voyages d’un naturaliste is reproduced (in two separate extracts) in Pierre Pluchon, Vaudou sorciers empoisonneurs: De Saint-Domingue à Haïti (Paris: Éditions Karthala, 1987), pp100-104. However, Pluchon ignores some of the paragraph breaks, and modernizes some spelling and punctuation.

from Voyages d’un naturaliste

Chapitre Quatorzième

Idée des Vaudoux . Définition du mot. Leurs opérations ridicules et emphatiques. Maladies qu’ils donnèrent à un habitant de la Petite-Rivière, plaine de l’Artibonite, et à des nègres dont ils étoient jaloux. Sortilèges prétendus. Prédiction faite à Toussaint-Louverture, chef noir à Saint-Domingue. Tours facétieux que les vaudoux se plaisent à faire dans les calendas.

Ayant beaucoup entendu parler d’une secte idolâtre appelée vaudoux à Saint-Domingue, et dont la réunion avoir lieu sur notre habitation, je fis venir une négresse affidée qui, après m’avoir détaillé des faits surnaturels, me rendit le témoin oculaire des frénétiques céré- [181] monies de ces espèces de convulsionnaires. «Les vaudoux, me dit la véridique Finette , sont de nations différentes; ils tombent en crise par suite d’une sympathie inconcevable. Réunis sur le terrain qui doit être le théâtre de leurs grimaces convulsives, ils sourient en se rencontrant, se heurtent avec rudesse, et les voilà tous deux en crise; les pieds en l’air, hurlant comme des bêtes féroces, et écumant comme elles.

«Je passois un jour, poursuivit-elle, auprès de deux, de ces espèces de convulsionnaires, et soit que leurs prosélytes aient eu l’intention d’accréditer leur système, soit que par ces preuves irrécusables, ils aient voulu profiter de mon jeune age pour m’initier dans leurs mystères, on m’introduisit dans le cercle, et il fut ordonné à l’un d’eux, par le chef de la horde, de prendre dans ses mains du charbon allumé qui lui fut présenté, et sembla ne point le brûler; à l’autre de se laisser enlever des lanières de chair avec des ongles de fer, ce qui fut ponctuellement exécuté, sans que je remarquasse le moindre signe de sensibilité.

«Dompète (c’est le nom du chef tout-puissant de la horde fanatique) a, disent-ils, le [182] pouvoir de découvrir de ses yeux, et malgré tout obstacle matériel, tout ce que se passe, n’importe à quelle distance; propriété fictive bien faite pour en imposer aux crédules, et tyranniser les incertains dont le défaut de confiance est puni par le poison qui leur est familier, et, dans les mains du Dompète, d’un usage journalier et impuni.

«Les acolytes de cette secte ont aussi entre eux des moyens magiques d’exercer leur vengeance. Un homme a-t-il essuyé les rigueurs d’une amante, ou l’infidélité d’une maîtresse habituée? un piquant de raie jeté dans l’urine de la coupable, le venge de son outrage, en frappant soudain l’infidelle d’une maladie de langeur, que le vaudoux fait cesser à volonté par une préparation différente.

«C’est par un semblable motif de jalousie, qu’une négresse nommée Jeanne Claire, d’une habitation de la plaine l’Artibonite, ayant excité l’envie de la femme d’un vaudoux, fit mettre en opération son mari qui par un sortilège rendit cette rivale (ou matelote) muette et difforme aux yeux fascinés de son amant qui la repudia, et ne la vit depuis qu’avec horreur, malgré les témoignages d’attachement de cette femme qui, pour opérer une réconciliation si désirée, lui offrit tout ce qu’elle possédoit. [183] L’amant d’abord courroucé, se radoucit pourtant à la proposition de ces offres généreuses. Jeanne Claire se disposoit à lui remettre la cassette contenant ses bijoux et ses effets les plus précieux: quelle fut sa surprise lorsqu’au lieu de la trouver à sa place, elle n’y rencontra plus qu’un amas de terre et d’ossemens humains! O désolation! mais l’effet du philtre n’étoit point éternel, l’amant creusa et fouilla le tertre dépositaire de l’opération magique, et ce fut à l’instant où la cassette reparut, que la femme doublement enchantée recouvra et sa voix et son trésor.

«Une des preuves encore que les sortilèges n’ont qu’une durée limitée, c’est, continua l’historienne, la maladie singulière qu’éprouva, par ces effets magiques, M. Dériboux, habitant de la Petite-Rivière des Gonaïves. Il eut un différend avec un vaudoux, et sans menaces de la part de son ennemi il fut atteint dès le lendemain d’un vomissement dans lequel il rendoit de gros morceaux de chair crue. Ce c’est qu’après six mois de souffrances que le maléfice cessa.

«Un autre vaudoux, par suite de la jalousie d’un confrère, opéra ce phénomène: son rival, homme robuste et bien fait, devint hideux et couvert de lèpres qu’il conserva jusqu’à ce qu’il [184] eut renoncé à la femme qui lui causoit cette infirmité. Sur la menace du vaudoux, le lépreux quitta le quartier, et recouvra bientôt une parfaite santé.

«Un fait non moins extraordinaire mérite d’être cité. La femme d’un vaudoux venoit de perdre son mari, qui en mourant lui avoit laissé le secret de dérober son argent à la recherche des voleurs, en leur fascinant les yeux. Joyeuse de posséder ce secret merveilleux, elle faisoit étalage de sa fortune, et l’élevoit de beaucoup au dessus de sa valeur, ayant en vue par ce stratagème d’augmenter le nombre de ses adorateurs. Adonis, nègre cuisinier de M. Desfontaines, habitant des Gonaïves, rusé et envieux de mordre à la grappe, résolut de chercher à lui plaire, espérant, après un tems d’assiduités et de caresses, devenir le semi-possesseur du riche butin annoncé.

«Dans ses fréquentes visities, il cherchoit à flatter la friandise de Claire, en lui apportant des mets délicats, soustraits, à la table de son maître. Un jour que par l’abondance des gâteaux, autres provisions, et surtout une bouteille de marasquin, il avoit tenté de la rendre déraisonnable au point d’obtenir son secret, il fut déçu de son espérance, et apprit seulement d’elle, que le tonneau qui se trouvoit dans le [185] coin de la case, derrière son hamac, renfermoit le trésor en question, mais qu’il étoit défendu à tout autre qu’elle de pénétrer jusque-là; et, pour preuve de son privilége exclusif, elle engagea Adonis à tout tenter pour enlever cet argent du baril où il étoit. Celui-ci souriant, voulut en vain y plonger le bras à deux reprises, étant repoussé chaque fois par une force invisible; cependant, ne perdant pas courage, il fit une troisième tentative, mais quelle fut sa surprise lorsqu’en introduisant son bras, il crut sentire une couleuvre qui, par la détorsion de ses replis tortueux, sembloit vouloir s’élancer sur lui! Adonis plus prudent que courageux, renonça soudain à l’expérience, mais conserva le désir d’approfondir l’intensité de ce mystère. Pour satisfaire sa curiosité, il alla donc trouver un vaudoux son ami, et moyennant une bouteille de tafia, il obtint de lui le moyen de rompre ou plutôt de détruire le charme de ce prestige d’illusion. Il reçut du vaudoux un peu de terre de cimetière, qu’il lui fut ordonné d’aller déposer derrière le lit de Claire à son insçu, destinée, lui dit-il, à l’endormir, et avec elle son secret. Toute cause surnaturelle étant détruite, Adonis se présenta chez sa maîtresse qui s’endormit bientôt dans ses bras, après qu’il eut préalablement achevé son opération; d’où il résulta succès [186] complet, au moyen duquel il fit la loi à sa maîtresse, et ne consentit à lui remettre à son tour son trésor que s’ils s’appartenoient l’un à l’autre. Celle-ci y consentit sans peine, aimant Adonis plus que tout autre de ses courtisans.

«On sait, me dit l’historienne, que Toussaint-Louverture, à l’arrivée de l’expédition française commandée par le géneral Leclerc, se fit dire sa bonne aventure par un de ces vaudoux famé dans l’art devinatoire, et qu’il lui fut annoncé au fort de la Crête-à-Pierrot, qu’il seroit trahi et livré aux Français par son premier chef, celui en qui il avoit plus de confiance, le féroce Dessalines. L’événement réalisa la prédiction du vaudoux».

Les vaudoux, par un esprit de contrariété qui leur est personnel, aiment à troubler les plaisirs qui ne sont pas les leurs; aussi les voit-on à la découverte des calendas (danses nocturnes) s’y faire des signaux, et, prévoyant leurs succès, rire entr’eux d’avance de l’embarras de leurs dupes. Un d’eux plus confiant que les autres, me prenant par le bras, me dit tout bas l’intention où il étoit, ainsi que ses camarades, de faire donner le calenda à tous les diables. Il n’eut point achevé ces paroles, que tous les danseurs se plaignirent de borbo- [187] rismes, qu’un bruit crépitant se fit entendre, et que la confusion se fit remarquer sur tous les visages étonnés; aussitôt de se fixer et de rire aux éclats, puis de se dépiter, comme contraints d’abandonner le poste où la gaieté les avoit placés. Vous voyez, me dit alors le vaudoux, combien tous nos danseurs sont interdits, et combien de vents chacun rend sans pouvoir en empêcher; eh bien! nous sommes les auteurs de cette espiéglerie qui consiste à répandre dans le milieu du bal une poudre composée de sucre imbu de la sueur d’un cheval harassé. Voilà continua-t-il, tout notre secret, mais n’en parlez à personne; car nous aurion sûrement lieu de nous repentire d’avoir troublé ce divertissement.

Source: M E Descourtilz, Voyages d’un Naturaliste (Paris 1809), Vol III, pp180-87.