Malenfant (1814)

Des Colonies, et particulièrement de celle de Saint-Domingue(Paris 1814) by Colonel Charles Malenfant is a significant primary source.

The main section of this book of interest to scholars of vaudou is in Chapter VIII, entitled Des Noirs and the relevant section is reproduced in full below. I have also added a section from Chapter I which concerns the role of Hyacinthe in the events of March 1792.

Most of the relevant section of Chapter VIII is reproduced (in two separate extracts) in Pierre Pluchon, Vaudou sorciers empoisonneurs: De Saint-Domingue à Haïti (Paris: Éditions Karthala, 1987), pp108-9, 133-34. However, Pluchon ignores some of the paragraph breaks, and modernizes some spelling and punctuation.

I have restored the formatting and spelling and punctuation of the original here – but please note this is a draft transcription, pending final proof-reading.

from Des Colonies, et particulièrement de celle de Saint-Domingue

VIII – Des Noirs

Il y a des colons qui m’ont assuré qu’ils avaient eu pour esclaves des noirs mahométants, et même des derviches.

Les voyageurs qui veulent parcourir l’Afrique devraient se faire initier à une secte connue sous le nom de Vaudou, secte très-sévèrement punie par les blancs, et aussi cruellement que les francs-maçons par les Espagnols et les Portugais.

Il y avait à Gouraud une grande prêtresse du vaudou, et un noir, grand chef; je n’ai jamais voulu les dénoncer; ils eussent été pendus ou brûlés de suite. J’ai su ce fait par une négresse qui était initiée. Il y a un mot de passe, mais elle n’a jamais voulu me l’indiquer; elle disait que les femmes ne le connaissent pas. Elle m’a donné [216] les signes pour la reconnaissance avec la main; c’est, à quelque chose près, celui des maçons. Très peu de créoles sont initiés; il n’y a que les enfants des chefs du Vaudou. Elle me le dit sous le secret, en m’assurant que, malgré que les nègres m’aimassent beaucoup, je serais tué ou empoisonné si je cherchais à découvrir le grand mystère de la secte.

Il existe chez les prêtres du Vaudou, une grosse couleuvre privée, cachée sous terre, dans une grand caisse de bois, qu’on lève dans les cérémonies en forme d’autel. On fait des serments entre les mains de la grande prêtresse. Les danses conduisent à des convulsions, qui cessent lorsqu’on boit une espèce d’huile, qu’elle m’a dit être de serpent; on en frotte aussi les tempes, les jarret et les aisselles.

Le chef du Vaudou mourut lorsque j’étais à Gouraud. Il avait un grand ascendant sur tous les noirs; ils lui ont fait des funérailles magnifiques; on y a dansé le vaudou. Je j’ai point voulu troubler leur fête; je lui ai donné au contraire vingt bouteilles de vin.

Cette secte me parait tenir aux illuminés, il n’y a que des fanatiques, des sots, ou des imbéciles, qui puissent s’inquiéter d’une secte, qui me paraît à peu près celle de la maçonnerie. [217]

Il faut espérer que les philanthropes qui ont établi sur la Sierra Léona une colonie libre, parviendront à trouver l’origine de cette institution, qui remonte peut-être aux temps les plus reculés. Les Aradas sont ceux qui m’ont paru y être le plus attachés.

Si l’on eût su à Saint-Domingue qu’un blanc eût été initié au Vaudou, il eût été brûlé vif. Voilà comme l’ignorance fait des persécuteurs! et l’on trouve des Français dans ce nombre.

Je vais faire connaître sur cette secte quelques faites don’t j’air été témoin. Au mois de février 1792, nous marchâmes pour attaquer un camp de nègres qui était au fonds Parisien, dans la plaine du Cul-de-Sac.

L’armée était composée de deux mille hommes d’infanterie, et de quatre cents dragons coloniaux. J’étais toujours des avant-gardes, et choisi par M. le Comte de Boutillier pour ces expéditions. En approchant du camp, nous fûmes bien étonnés de voir, sur le bord de la route, de grandes perches piquées en terre, sur lesquelles on avait attaché différents oiseaux morts, placés de différentes manières. Sur quelques-unes étaient des oiseaux crabiers; sur d’autres des poules noires. Dans le [218] chemin étaient des oiseaux coupés, jetés de distance en distance, et entourés par des pierres artistement arrangées; enfin, une huitaine d’oeufs cassés, et aussi entourés de grands cercles en zig-zag. Cela nous fit beaucoup rire. Malgré tous ces prestiges, je poussai avec cinquante dragons. Après un petit quart d’heure de marche, j’aperçus le camp qui était couvert d’ajoupas, rangés comme les tentes des troupes. Quel fut mon étonnement, lorsque nous vîmes tous les noirs qui sautaient, et plus de deux cents négresses qui dansaient en chantant avec sécurité! Nous courûmes à toute bride sur le camp; la danse fut bientôt finie; les nègres prirent la fuite. Nous nous attachâmes à les poursuivre jusque dans la partie espagnole; nous en tuâmes une vingtaine, et ils nous tuèrent trois dragons, entr’autres un brave jeune homme, nommé Montalent; ce qui fit croire au camp que c’était moi.

A mon retour, les dragons qui étaient resté avec l’infanterie poursuivirent les négresses; on en fit prisonnières deux cents, auxquelles on ne fit aucun mal. La grande prêtresse du Vaudou n’avait point fui; elle fut prise; au lieu de l’écouter, de prendre des renseignements sur ses desseins, on la tailla en pièces à [219] coups de sabre. C’était une très belle négresse, bien vêtue. Si je n’avais pas été à la poursuite des noirs, je n’aurais pas souffert qu’on l’eût massacrée, sans au moins avoir pris d’amples reseignements sur ses projets.

J’interrogeai plusieurs négresses en particulier; j’en rencontrai de la petite habitation Gourand, au Fonds-Parisien, qui me connaissaient; elles ne pouvaient concevoir comment nous avions pu passer après les obstacles que la grande maîtresse du Vaudou avait multipliés sous nos pas. C’est l’assurance que cette négresse leur avait donné, qui les avait tenues dans cette confiance et les faisait danser. Comme j’étais resté un peu de temps sur un petit morne à les examiner, ils s’imaginèrent que nous étions fixés là par enchantement. Cette prêtresse était une belle négresse créole, de l’habitation de Boynes, à ce que je crois, et un excellent sujet d’ailleurs.

En l’an 4, nous prîmes dans les montagnes de Sainte-Susanne une négresse d’Arrada. Elle était du Vaudou. Cette femme fut conduite au Cap; on l’interrogea; mais elle parlait peu le créole. Elle fut jugée par le noir Télémaque, et conduite sur la grande place au milieu d’une multitude de peuple de toute couleur. Les [220] nègres et les négresses ne se cachaient pas pour dire qu’on pourrait avoir aucun voir humain sur elle.

Télémaque fit un discours plein de chaleur, ne craignit pas de publier qu’il était honteux d’être noir, lorsqu’il voyait ses frères étre aussi crédules. «Les cheveux de cette négresse, dit-il, qui sont si bien frisés, si bien couverts de mastic et de gomme, que vous croyez si puissants, vont tomber.» Il adressa ensuite quelques paroles à cette sorcière, qui, comme la Pythie, était placée devant un brasier et sur un petit trépied; mais elle était triste et d’un grand sang froid. Alors il ordonna au bourreau nègre de lui couper les cheveux, qui tombèrent sous les ciseaux au grand étonnement de tous les crédules spectateurs. Ils ne furent pas moins surpris de voir ces cheveux sacrés dévorés par le feu dans lequel ils furent jetés. Cette femme fur reconduite en prison; et, peu de jours après, on la confia sur une habitation a des noirs pour qui elle devint un objet de risée.

Qu’on ne croie pas en France que tous les noirs pensent ainsi: les créoles et ceux qui sont créolisés rient et se moquent de cette imbécillité.

I – Precis historique de la guerre de Saint-Domingue. – Exposé des causes qui ont fait donner la liberté aux esclaves

Le 10 mars 1792, on se rendit à la Croix-des-Bouquets sans éprouver la moindre résistance. Les mulâtres s’étaient presque tous retirés à l’Arcaye, our au Mirbalais. Les noirs esclaves étaient tranquilles.

Le maire de la Croix-des-Bouquets, M. de Jumicrout, chevalier de Saint-Louis, ancient capitaine d’artillerie, auquel les patriotes en voulaient, s’était retiré à leur approche aux Grands Bois.

Les grand planteurs, les gérents, les économes, craignant un mouvement dans la plaine, se réunissaient à la Croix-des-Bouquets pour y passer la nuit; le matin ils retournaient chez eux avec des patrouilles.[17]

La compagnie des Africains, et quelques gardes nationaux se permirent de faire des incursions sur les habitations, et d’aller, en marraudeurs, voler les poules et les cochons des nègres: il n’en fallut pas davantage pour rendre ces derniers les ennemies déclarés des noirs Africains.

A la nouvelle de la marche des blancs, les mulâtres se rassemblèrent, s’unirent à quelques milliers de nègres, marchèrent sur la Croix-de-Bouquets, le 28 mars 1792, à trois heures du matin. Ils surprirent les gardes nationaux qui, fiers de leur nombre et de leur belle tenue, avaient la folle confiance de croire qu’on n’oserait les attaquer.

Les blancs des plaines, réunis en cavalerie sous le nom de dragons, occupaient le bourg: mais les gens de couleur, qui ne leur voulaient aucun mal, se contentèrent de les tenir en observations, tandis qu’ils attaquèrent avec vigeur le vôté occupé par la garde nationale. Elle eût été écrasée sans le commandant Philibert, qui la veille avait été informé de cette attaque par ses nègres: il fit des dispositions qui continrent l’ennemi. Le choc fut terrible. Les Africains sauvèrent la garde nationale; le courage des dragons ramena l’ordre dans le rangs. Les [18] troupes de ligne attendirent l’ennemi de pied ferme; Normandie et d’Artois soutinrent leur ancienne réputation.

Les canonniers du Port-au-Prince furent attaqués avec un acharnement sans exemple par les mulâtres et les noirs, commandés par un petit nègre nommé Hyancinthe. Ils se battirent avec un sang-froid et un courage héroïques. Les noirs, qui n’avaient pas d’armes étaient si enragés, qu’ils venaient se faire tuer sur les pièces de 24, qui les foudroyaient. Leur aveuglement était si fort que plusieurs osaient mettre le bras dans les canons, en criant à leur camarades, veni, veni, moi tins ben li (venez, venez, je le tiens bien). On mettait le feu, et ces Noirs étaient victimes de leur impudence. Leur chef, Hyacinthe, passait au milieu des balles, à portée de pistolet, tenant à sa main un petit fouet de crin de cheval, qu’il remuait avec vitesse en criant aux noirs: En avant, c’est d’iau (c’est de l’eau) qui sort des canons, pas gagnez peur. Les nègres étaient si furieux contre la garde nationale, qu’ils criaient, tuyez tous blancs du Port-au-Prince, sauvez blancs de la plaine. Les gardes nationaux s’apercevant qu’ils étaient l’unique objet de l’animosité des mulâtres et des noirs, ne demandèrent qu’à retourner dans [19] leurs foyers: cette circonstance obligea à faire une retraite sur le Port-au-Prince. Malgré ces troubles, aucune habitation ne fut incendiée, pas un blanc ne fut assassiné, pas une case ne fut pillée. Les noirs perdirent environ 500 hommes, les mulâtres très peu, la garde nationale 80, les dragons 10.

Source: Colonel [Charles] Malenfant, Des Colonies, et particulièrement de celle de Saint-Domingue (Paris 1814)