Oswald Durand (1896)

Oswald Durand (1840-1906) has been described as the ‘first great Haitian poet’. His two-volume collection, Rire et Pleurs(1896) included three explicitly vaudoux poems, printed together in the order in which they appear below.

XXVI Le Vaudoux

Non loin, dans la verte campagne
Où fleurit l’élégant dattier,
Un homme, qu’un chien accompagne,
Suit les méandres d’un sentier.
Parfois, dans l’épaisse ramure
Il écoute le doux murmure,
Sortant de quelques nids cachés!
Ou bien, à la voûte éthérée,
Pour suivre une nue égarée,
Il tient ses regards attachés.

La brise arrive toute pleine
Du parfum des tchatchas en fleurs;
Vient lui souffler à chaque haleine,
Le bruit de leurs pois querelleurs;
Le campêche, avec nonchalance,
Livre au zéphyr, qui les balance,
[69] Ses jaunes panaches dormants;
La pomme-liane flottante
Se tord pour former une tente,
Au sommet des verts cachimans.

Ce bruit agaçant son oreille
C’est bien l’élégant charpentier,1
A la robe jaune et vermeille,
Qui becquète le cocotier.
Au haut d’un pied de sapotille
C’est le pipiri qui sautille
A côtè du tchit étourdi,2
Tandis que notre Philomèle
A leur refrain moqueur se mêle
Et dit sa gamme en plein midi.

Pour s’orienter, il écoute
Le doux bruit d’un tambour lointain,
Puis, tranquille, reprend sa route,
D’un pied léger et plus certain.
Il va voir danser la négresse,
Ouïr ses chants pleins d’allégresse,
[70]A l’ombre du tamarinier;
Il va voir sa noire prunelle
Étinceler sous la tonnelle
Recouverte de latanier.

Voici le terrain circulaire
Ratissé bien soigneusement,
Où la griffonne, pour nous plaire,
Met le foulard au pli charmant.
Zoune est en rond, et ses épaules
S’agitent au son des paroles
Qi’accompagne le long tambour.
Voyez la danseuse aux dents blanches,
Comme elle fait bondir ses hanches!
Elle a sa loi, – c’est un beau jour!3

Brillante, en sa danse expressive,
Elle embrasse son cavalier,
Lui passe au cou, folle et lascive,
Ses bras en forme de collier.
Oh! quelle ivresse! les couleuvres
Sont moins souples en leurs manoeuvres
[71]Que Zoune en ses doux mouvements!
Et l’on se presse, on se chiffonne,
Pour danser avenc la griffonne,
La griffonne aux gestes charmantes.

Ses pieds soulèvent la poussière;
Sa main étanche avec amour
Le front en sueur de Jean-Pierre,
– Jean-Pierre qui bat le tambour!
Sa loi, c’est Legba! Prenez garde!
Quand de trop près, on la regarde,
Trouvant que ses charmes sont doux,
Conduit par la main d’une femme,
On tombe dans un piège infâme,
Et l’on sacrifie au Vaudoux!

XXVII Sur le morne lointain

Sur le morne lointain, semé de blanches cases,
Le tambour qui rugit le chant mystérieux
Du magique vaudoux, aux divines extases,
Où l’on immole un bouc, où l’on brise des vases,
Enivre les papas, qui battent, furieux,
Le tambour qui rugit le champ mystérieux
Sur le morne lointain, semé de blanches cases.

En sons sourds, sibyllins, du gosier des sambas,
L’improvisation pleurant les dieux antiques,
Réveille les vieux morts qui gémissent là-bas,
Et guide les danseurs dans leurs lascifs ébats.
Les adeptes fervents écoutent, frénétiques,
L’improvisation pleurant les dieux antiques,
En sons sourds, sibyllins, du gosier des sambas.

 

Dans le fond où Legba gouverne les yeux mornes,
[73] Au pied du saint autel qu’entourent les houncis,4
Dont les lugubres chants s’entendent dans les mornes,
On conduit le bouc noir, le bouc à quatre cornes,
Qui penche son front ceint de rubans cramoisis,
Au pied du saint autel qu’entourent les houncis,
Dans le fond où Legbas gouverne les yeux mornes.

Une sainte terreur emplit le lieu divin.
On ne voit que l’éclair de la mortelle lame.
Pour plaire au dieu vaudoux, le grand prêtre devin
Donne à boire aux élus le rhum mêlé de vin,
Brise le vase rouge et fait envoler l’âme…
On ne voit que l’éclair de la mortelle lame…
— Une sainte terreur emplit le lieu divin.

 

Sur le morne lointain semé de blanches cases,
Toujours le tambour dit le chant mystérieux.
Mais l’antique vaudoux, aux magiques extases,
[74] Plus n’égorge le bouc, plus ne brise les vases.
Les papas ne sont plus, qui battent, furieux,
Le tambour qui rugit le chant mystérieux
Sur le morne lointain, semé de blanches cases.

XXVIII Francine, le possédée

Voyez-la, Francine la folle!
Elle entre en rond;
Elle est possédée; elle vole…
Voyez son front!

Elle prie, et, devant la foule,
Tombe à genoux;
Ses yeux sont hagards; elle roule
Jusque vers nous.

En ses gestes, elle demande
Un sabre nu,
Et ses yeux, taillés en amande,
Voient l’inconnu.

Entre ses mains, l’arme tranchante
Lance du feu;
Elle bondit, puis elle chante
Legba, son Dieu!

[76]Et le tambour rugit et tonne,
On bat des mains,
Et la foule joyeuse entonne
Les longs refrains.

 

Voyez-la, Francine la noire,
Qui tourne en rond!
Elle a son ange; elle veut boire…
Voyez son front.

On fait silence; la sibylle
Va prononcer.
La foule, longtemps immobile,
Peut s’avancer…

L’ange murmure en mots mystiques:
Sang, vie et mort!
Et, comme dans les temps antiques,
L’oracle sort.

C’est que Legba, le dieu terrible,
Aime le sang,
Et marche, dans la bande horrible,
Au premier rang.

[77] Écoutez le tambour qui tonne…
On bat des mains!
La foule a peur, mais elle entonne
Les noirs refrains.

 

Voyez-la, Francine la preste!
Elle entre en rond,
Elle a sa loi, son dieu funeste;
Voyez son front!

Elle est petite et foule à peine
Le sol poli;
Sa peau, plus noire que l’ébène,
N’a pas un pli.

L’agneau tout blanc qui, devant elle,
Est amené,
A, de rubans et de dentelle,
Le front orné…

On danse autour de la victime,
On chante en choeur,
Attendant le moment sublime
Du coup vainqueur.

[78] Et le tambour rugit et tonne…
On bat des mains,
Cadençant le chant monotone
Aux longs refrains.

Voyez-la, Francine la belle,
Qui tourne en rond!
Qui tourne et prend l’agneau qui bêle…
— Voyez son front!

L’heure approche, l’heure propice
Sonne bientôt…
Francine, pour le sacrifice,
Prend le couteau…

Et, dans ses mains, l’arme tranchante
Lance du feu…
L’ange se baisse et puis il chante
Legba, son Dieu!

La prêtresse, dont l’oeil s’enflamme,
Frappe deux coups…
L’agneau tombe; et la foule acclame
Le dieu Vaudoux!…

[79] Et le tambour rugit et tonne
Comme l’airain,
Achevant du chant monotone
Le long refrain!

Notes

  1. Nom vulgaire d’un pivert des Antilles.
  2. Pipiri ou titiri, nom vulgaire du tyranneau, oiseau des Antilles; tchit, nom d’un petit oiseau. Ces deux noms sont donnés par onomatopée.
  3. Loi ou ange, esprit dont se dit possédé celui qui danse le vaudoux. Ces lois our anges s’appellent papa Pierre, papa Legba, papa Ogoun, etc., etc.
  4. Néophytes.
Source: Oswald Durand, Rires et pleurs. Deuxième partie: Fleurs des mornes, Refrains, Nos payses, Contes créoles (Paris: Éditions Crété, 1896), pp75-79.